L’un des grands projets du gouvernement bruxellois et, même, de la Ville de Bruxelles, pour respecter les objectifs de son Plan Energie Climat passe par un grand plan isolation des bâtiments. Si l’intention de réduire sa consommation donc de limiter les émissions de CO2 dans l’air est louable, l’engagement climatique jouit d’une maturité suffisante pour ne pas se jeter à corps perdu dans une voie impliquant un volume astronomique de dérivés pétrochimiques dont personne ne s’inquiète du traitement futur.
Sur ce point, nous faisons face à une absence totale de vision à long terme. Ceux d’entre vous qui ont isolé leur maison le savent, l’isolant représente un volume impressionnant. On pourrait estimer que le bruxellois qui aura isolé sa maison comme légalement requis, contribuera à remplir deux containers pleins d’isolant réputé imputrescible et incompressible. Les colibris le savent, si chaque Bruxellois contribuait à remplir deux containers imputrescibles, cela nécessiterait un site d’enfouissement pour des centaines de milliers de mètres cube de frigolite en tout genre, rien que pour notre région. Ceci alors que l’amiante et les déchets nucléaires saturent déjà nos mines, nos silos, nos fonds marins ou que les pneus usés recouvrent nos terrains de football. Ca n’est pas tout. Au déchet que constitue l’isolant en lui-même s’ajoute une quantité d’accessoires (pare-vapeur, autocollant, cheville plastique, etc.) et un système de ventilation complexe, sans oublier son lot d’entretiens et de pannes.
Le secteur de la construction est submergé
La construction devient technologique et donc rapidement dépassée. Le secteur dans son entièreté est submergé. Le rythme très soutenu des dernières réformes de la Performance énergétique des bâtiments (PEB) complique encore un peu l’exercice. Non sans hypocrisie, d’aucuns critiquent le niveau de qualification des ouvriers quand bien souvent les architectes ne s’en sortent que péniblement. A cet égard, un architecte sorti de l’université en 2010 aurait dû suivre quatre cycles de formation depuis la sortie de ses études pour être à jour. Combien l’ont fait ? Les services d’urbanisme bruxellois, bien souvent débordés, exercent désormais un contrôle sur le conseiller PEB qui, lui, assiste et contrôle l’architecte dans sa mission, sous l’œil attentif de l’IBGE.
Proposition, notification et déclaration PEB, Primes, DIU, ATG et fiche technique constituent une partie de l’univers administratif de l’isolant. Cette surcharge administrative pèse à tous les étages du processus et contribue à l’augmentation constante du coût de construction. D’un point de vue juridique, l’isolant n’est pas en reste. Le code Napoléon n’avait pas non plus anticipé que cette marée noire s’abatte sur nos maisons. La façon d’isoler la plus conseillée consiste littéralement à emballer l’ensemble des murs extérieurs et à ne pas laisser de matériaux conducteurs en contact avec l’extérieur.
L’investissement massif dans les isolants nous mène inéluctablement vers un nouveau scandale sanitaire à l’horizon d’une génération. Il n’est pas trop tard.
Dans le contexte urbain que nous connaissons, nous sommes majoritairement confrontés à deux murs mitoyens, à savoir un mur en terre cuite de vingt-huit centimètres partagé à parts égales avec votre voisin. La seule façon d’emballer un mur mitoyen est de placer l’isolant au-delà de la partie partagée. Cela se complique encore si le mur que vous souhaitez isoler est continu sur les parcelles voisines, comme certaines façades arrière. Quand l’isolant n’est pas continu, la conductivité du mur froid de votre voisin provoquera certainement de la condensation due au pont thermique. Pensez à aérer. Les petits points noirs sur votre mur froid à côté du voisin c’est de la condensation. Frottez les taches avec une éponge et du produit de vaisselle, et aérez.
La surenchère réglementaire pousse les maîtres d’ouvrages à utiliser les matériaux les moins onéreux, rarement les moins polluants
On pourrait continuer ce sombre tableau avec toutes les sous questions écologiques et économiques que ces réglementations posent et imposent mais rêvons d’autres chose. Gageons que la conscience écologique de la société civile provoque spontanément un basculement radical vers des produits écologiques et durables. Les alternatives nécessitent de revoir notre rapport au coût et au temps, peu compatible avec l’urgence démographique et climatique. La surenchère réglementaire en matière d’exigences énergétiques pousse les maîtres d’ouvrages à envisager les matériaux les moins onéreux, rarement les moins polluants. Réorienter les ressources en soutenant les projets ambitieux et exemplaires, subsidier les acteurs innovants et déréglementer l’isolation renforcera la cohérence de notre politique écologique.
L’investissement massif dans les isolants nous mène inéluctablement vers un nouveau scandale sanitaire à l’horizon d’une génération. Il n’est pas trop tard. Désinvestissons les isolants non durables, réfléchissons dès aujourd’hui à la seconde vie des isolants placés depuis des années, réfléchissons. Bruxelles foisonne de talents, collaborons avec les initiatives good food en réinvestissant nos toits comme à la ferme des abattoirs ou en favorisant les innovations comme l’ambitieux projet de Vivaqua pour récupérer la chaleur des égouts.
Pour nos enfants, laissons les cyniques transpirer dans leur plastique
Faisons confiance aux architectes et favorisons les projets à l’échelle de nos entreprises, de nos architectes et de notre épargne. Densifions sur les toits, végétalisons, cultivons, il est fort à parier que d’ici trente ans, et deux degrés de plus, nous ayons plus besoin d’un potager sur le toit que d’un imperméable sous une doudoune.
Bruxelles a un avenir radieux et il est souhaitable qu’il se fasse en l’absence de ces isolants hydrocarbures. Il faut rendre non contraignante l’isolation des murs et des sols. Favorisons les isolants naturels, d’avantage praticables en structure bois, et les apports d’énergie alternatifs. A cette fin, ajouter un étage en structure bois permet à la fois d’isoler le toit, d’investir son épargne et de prévoir sa retraite en y ajoutant un logement ou la possibilité d’y loger des aidants proches. Soignez votre eau et vos rejets aux égouts. Laissez respirer vos murs en favorisant les enduits et peintures respirantes. Récupérez, réinventer. Il existe une réelle intelligence collective bruxelloise, alors allons-y. Et pour nos enfants, laissons les cyniques transpirer dans leur plastique.
Jeremy Boomer est co-fondateur de Natura Mater et architecte de formation.
Une carte blanche parue dans la Dernière Heure le 15 janvier 2020.
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